mercredi 20 mars 2013


                       

Bernard Saulnier



Voilà les Italiens qui discutent près du bistro sur la place. De retour du congrès, la première idée qui me passe par la tête est que j'ai mis l'épaule à la roue et apporté de la farine au moulin. Je suis dans ma chambre, j'entends des cris dehors. Je pense appeler mon copain Sylvain au Canada, mais au fond je m'en crisse : qu'ils le ferment le tabarnak d'hôpital!
Moi et l'autre utilisateur de services sommes toujours derrière le gratin. Michel avait raison : je n’accote pas les 100 000 dollars et plus du salaire de la directrice. Il y a l'autre con de chercheur qui en a rajouté avec « je me crosse trop » : j'en ai entendu d'autres. Je pense à me jeter du haut du balcon. Dans la chambre du Nasco, dans le frigo, il y a des bouteilles de 250 ml de Coca-cola, à peu près six onces. Dehors, un gars crie «fada»... Le psy m'a parlé de curriculum vitae : je n’en ai pas fait depuis des années et ce n’est pas mon intention d'en faire. Je crois que la travailleuse sociale est en colère. Dans sa présentation, elle n’a pas eu le temps de parler des troubles de l'humeur.
Je suis au bistro face au centre des congrès. J'entends le mot «cognio». Je trouve étrange que ce soit émotivement froid dans ce colloque. On pourrait s'attendre à plus de chaleur de la part des Italiens qui sont réputés chaleureux. Même ici, je me sens stigmatisé, stigmate schizophrénique paranoïaque canadien. Je sais que je fais parfois «matante», mais j’éprouve le sentiment d'être étranger, car on ne m'adresse pas la parole. Je ne parle pas italien. Encore, là, un jeune homme avec un regard méprisant. J'entends le mot nazi : je n’oublie pas que je suis dans le pays de Mussolini (photo).
Je trouve toujours étonnant de voir de jolies jeunes filles travailler avec des hommes psychotiques. Elles éveillent, chez eux, un désir qui ne sera jamais assouvi. Maintenant, je suis au souper du congrès et j'entends quelqu'un dire de moi « je n’ai jamais vu un épais pareil ». Ce soir dans la chambre, il y a un délicieux parfum. Il se fait tard, plus que minuit. Je me demande si je vais laisser un pourboire à la femme de ménage. Ce matin, j'ai bu un café américano, il était très bon. Je me couche : buona notte!
J'ai vu la maison laide à Milan, une maison ronde, chef-d’œuvre de l'art déco. J’ai pris un café au Peoples bar, le barman s'est mis à tousser, il toussait presque dans ma tasse. C'est un bar minuscule avec une salle arrière magnifique. La ville est superbe, les immeubles avec un éclairage magnifique. Nous sommes passés dans une petite rue avec des tables en terrasse qui accueillent la faune nocturne. Il y a une fontaine à l'effigie de Neptune (photo). Je n’arrive pas à écrire le tas de bêtises qui me passe par la tête pendant la journée. Le psychiatre, pour moi, est l'ennemi : on n’est pas du même bord. Quant aux sexologues, mes problèmes sont choses du passé. Je n'ai plus de libido et c'est tant mieux...
Elle est finie l'époque de ma toxicomanie où je me prenais pour un garde du corps : je ne suis que Baptiste... Je réalise que je n’aime pas le psy parce que je suis comme lui. La directrice n'aime pas l'idée de rétablissement, elle préfère celle de la pleine citoyenneté. Le psy dit comprendre mes excès de voix délirantes. Il y a Radio Maria où l’on dit le chapelet... Le psy italien arrivait d'Australie. Il semble, selon lui, que les Australiens sont obsédés par les serrures et les cartes d'ouverture électroniques.
Au dîner, j'ai parlé de ma différence, de la conscience que j'ai de mon handicap, la schizophrénie, et de sa façon de me marquer physiquement. Je ne sais pas quoi manger. Eux, ils mangent d'ordinaire trois fois par jour. Moi, je suis un peu anorexique : mon ordinaire est deux repas et des cochonneries. James Joyce a séjourné à Trieste. Je crois qu'il avait ses quartiers au Harry's. On parlait de handicap et d'incapacité. Je n’ai pas des handicaps, mais une incapacité...
Bon maintenant, j’en suis à Basaglia (photo) : c'est déjà vieux. Même dans les fureurs psychotiques, ça nous prend des lieux où dormir. Les Italiens ne veulent pas entendre parler de la folie. Il y a des produits Kraft même à Trieste, des produits aux goûts des Italiens... On est près de la Slovénie et sur les rives de la mer Adriatique.
Je parle du pair-aidant de Québec qui, selon moi, est à cheval sur l'administration, l’autorité, les psys et d'un autre flanc, celui des malades à qui il demande leur confiance : je ne sais pas comment écrire que ça fait peur.

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